Témoignage de Chantal

Dès l’annonce de cette maladie, nous avons bataillé comme des fous pour nous battre ensemble. Puis, nous avons pris conscience qu’elle allait nous séparer à jamais. Il y avait alors deux solutions : nous enfermer tous les deux dans une grotte, ne laissant plus aucun signe de vie venir jusqu’à nous, ou apprendre à continuer à vivre malgré ce crabe qui le rongeait. Pour moi, commencer doucement à penser qu’il y aurait un après, tout en vivant le présent. M’y préparer en ne me coupant pas du monde des vivants.
Lorsque la MDPH (maison départementale du handicap) m’a conseillé de prendre contact avec EPSILON et l’ASP, le rôle des associations de soins palliatifs était flou, notamment j’étais dans la plus totale ignorance de la place des bénévoles à domicile. Que pouvaient nous apporter des inconnus, alors que nous ressentions très fort la nécessité de  nous recentrer sur notre couple, nos amis proches et la famille ?
Dominic n’était pas prêt au début à recevoir et échanger avec ces bénévoles, car il ne voyait pas ce que ça pourrait lui apporter. Moi, je souhaitais essayer, pensant essentiellement que cette présence auprès de lui me permettait de continuer des activités extérieures pour me ressourcer (un peu égoïste et culpabilisant de le « laisser » alors que le temps ensemble nous était compté ?). Il était en sécurité avec eux (sécurité physique, affective et pour moi c’était capital).
Il voulait que je puisse prendre de l’oxygène à l’extérieur de notre couple, pour affronter cette épreuve et rapporter des forces à la maison et a finalement accepté ces quelques moments de répit pour moi, par amour.
Pour lui, ces visites sont devenues rituelles, une fois par semaine. Très vite, il a apprécié de pouvoir parler avec une personne de plus en plus familière au fil du temps, avec qui il pouvait échanger sur tous les sujets. Ce qu’ils se disaient restait entre eux. C’était devenu son « moment à lui ».
Je savais qu’il appréciait la régularité et la qualité des moments que lui consacraient en alternance les deux bénévoles qui le visitaient (lectures, culture, cinémas, moments de vie, doutes, états d’âme, spiritualité….). Petit à petit, je partais de la maison sans culpabilité et à mon retour, il était content de raconter ce qu’il voulait de ce temps qui lui appartenait. C’était sa « vie sociale », « une forme de jardin secret », lui qui avait soudainement été obligé de quitter sa vie professionnelle. Les sujets abordés entre eux sont devenus essentiels et de plus en plus profonds, spirituels et philosophiques (pourtant, les bénévoles ne sont pas tous croyants, ni pratiquants, mais ils sont respectueux). Les bénévoles sont certes bénévoles, mais reçoivent une formation et c’est ce qui fait la différence. Ils ne remplacent ni les médecins, ni le psychologue, à mes yeux, leur présence était complémentaire.
Au fil des semaines, les liens étaient de plus en plus forts. Ils faisaient partie de notre vie, ils partageaient notre quotidien avec empathie, tout en restant discrets, en respectant notre intimité et nous préparant au détachement. Nous pouvions compter sur eux, et ce fut le cas jusqu’à la fin de sa vie, puisqu’ils sont également présents dans les établissements de soins palliatifs.
Aujourd’hui, trois ans après, mon chemin continue, je trouve que leur action est exceptionnelle d’humanité, d’engagement, de détachement, d’empathie, de don de soi, d’écoute, et je leur suis reconnaissante. Leur engagement est méconnu et pourtant, ils nous ont aidé à accepter l’inacceptable, à apprivoiser la douleur et l’échéance à venir. Comme des passeurs, ils ont tissé le fil qui a permis que ma vie continue dans l’après. Merci à eux.
Chantal
Partager cette page: