Pleins feux sur… le Congrès UNASP 2016 à Bastia

Pleins feux sur… le Congrès UNASP 2016 à Bastia

Par admin|09/11/2016|Compte-rendu

Assister à un congrès de l’Union Nationale des ASP, c’est aller au théâtre où chacun des bénévoles y voit jouer sa propre pièce, articulée sur un thème commun, choisi cette année par l’équipe ASP de Bastia : « Envisager la fin de vie chez soi : les dimensions culturelles et spirituelles de l’accompagnement », thème grave, formulation apparemment intellectuelle allégée par le contexte de son étude.
Au théâtre, en effet, il y a une scène et des coulisses. Sur la scène, des acteurs parlent, réfléchissent à voix haute, débattent de manière interactive et sur des durées mesurées. Et chacun des (à-)côtés abrite d’autres scènes qui ne se révèlent qu’au moment de la libération des esprits et des corps :

– la « cour » est le lieu des rencontres, des échanges (pauses, repas, attente de navettes…). On réfléchit, on fait connaissance, on découvre la vie, l’avis des autres. On poursuit les discussions ;
– le « jardin » qui, portant bien son nom, (photo ci-dessus) offre, près de Bastia, la douce immersion en piscine ou dans la mer ! ou bien propose, en soirée, l’écoute d’une chorale locale (polyphonie offerte gracieusement par de jeunes Corses fiers de l’être (photo ci contre).

Mais au-delà de cette présentation légère, nous affirmons que nous avons entendu des merveilles dont vous pourrez bientôt lire les transcriptions en vous rendant sur le site de l’UNASP, également publiées dans le bulletin « Liaisons », en décembre.

Malgré la position géographique périphérique de Bastia, près de 200 bénévoles ont tenu à être présents. Ainsi ont-ils pu profiter d’une organisation soignée malgré la complexité des situations, d’un hébergement confortable et… de la possibilité de partir ensuite à la découverte du pays afin de vérifier la réalité de l’hospitalité proverbiale des Corses et les singularités admirables des paysages.

Bénévoles participant au Congrès, à 6 heures dans l’aéroport d’Orly : Myriam accompagnée de son mari Eric ne sont pas sur la photo puisqu’ils ont utilisé un vol différent. Il semblerait que l’ASP-Y présentait l’une des plus nombreuses équipes.
Les bénévoles organisateurs du congrès ont, comme d’habitude, offert des trésors de disponibilité, d’attention et d’imagination pour rendre le séjour agréable et enrichissant intellectuellement.

Le congrès de l’UNASP : une formation continue

Thème affiché de ce congrès : « Envisager la fin de vie chez soi : les dimensions culturelles et spirituelles de l’accompagnement ».

Il s’agissait donc de considérer un bénévolat particulier, moins évoqué mais tout aussi important que celui en établissement hospitalier : spécificités sociales, régionales, corses en particulier.
Toutes les conférences étaient passionnantes. Nous en avons retenu quelques-unes pour vous les présenter, sans qu’il s’agisse d’une restitution fidèle.

Il ne s’agit pas de reprendre toutes les idées exposées mais de confier ce qui a été compris et apprécié par un des congressistes …


1 – « Le sacré en Corse »

Jean-Pierre Bonnafoux, prêtre et philosophe, supérieur du couvent St-François de Vico.

Le sacré occupe un vaste champ intime qui ne contient pas que le religieux mais aussi et éventuellement la nature, le sexe et la fécondité, le social (la tribu et la société) et enfin la vie, la personne humaine. Ce champ est permanent en chaque personne, même quand elle a « tout » oublié. C’est ce qui ne peut être discuté. C’est la transcendance qui s’impose à nous. En Corse, le sacré oblige puisque cela s’impose à soi en obligeant au respect absolu de la terre corse, du tombeau du père, par exemple. Ce « plus que moi » mérite « mon » sacrifice sans qu’il puisse être compris comme une mutilation.

Peuple élu, les Corses occupent une terre sacrée dont ils vénèrent la Nature (le chasseur y communie) ; une terre dans laquelle ils s’imposent de se faire enterrer, même s’ils s’en sont longtemps éloignés et si le village est désormais abandonné ! Ainsi retournent-ils sur le lieu de naissance du lien familial, contenu, tel un tabernacle, par la maison, là où on meurt mais où on tient à laisser le souvenir, l’image de celui qui fut vivant dans toute sa fierté et sa dignité. Et enfin, cette famille – chacun de ses membres – se sent incluse dans un clan dont l’évidente parce qu’impérieuse fraternité impose d’assister le démuni.


2 – Approches philosophique et psychanalytique de la question de la fin de vie au domicile

« La maison, entre le ciel d’où je viens peut-être, et la terre où je vais sans doute [Bachelard G.] ».
Éric Fiat (professeur de philosophie à l’Université Paris-Est Marne la Vallée) et Hélène Viennet (psychanalyste).

Interventions alternées, en écho, vives et douces, mobilisant érudition, analyse fine, tendresse, humour, séduction qui submergent l’auditeur en l’installant, béat, en apesanteur, dans un état de joie et de confiance sereines : enthousiasme des auditeurs ! Le bénévole se reconnaît dans cette « création théâtrale », il se sent valorisé parce qu’absolument nécessaire, et même si cela lui demande du travail, de la réflexion et surtout une sensibilité qui lui permettra d’acquérir la nécessaire lucidité. C’est par sa généreuse spontanéité qu’il trouvera des paroles simples et fraîches lui permettant d’être juste. Tous les bénévoles à domicile de la salle ont dû se sentir justifiés, éclairés et donc « regonflés » !

« Dés-orienté,… l’homme apparaît bien comme le plus inquiet de tous les vivants ainsi que le suggère magnifiquement Jack London dans les premières pages de Croc blanc » (Le vertige de l’absolu : réflexion sur l’ordinaire et l’extrême – E. Fiat, Figures ordinaires de l’extrême, sous la direction de F. Pommier, col. Psychanalyse et santé, p. 15). Cette pauvreté de l’instinct impose un refuge, un repère qui contient mes rêveries et mes secrets, et autour duquel tournent tous les événements de la vie, sans s’en éloigner. C’est en cela que le domicile est conçu comme sacré. Il n’est pas seulement un logement ; il est mon « coin du monde, le lieu où je protège ma rêverie ». « C’est là où je suis le maître : domus/dominus !  Mais si la maladie entre dans cette maison comme une intruse, elle finit par s’imposer et par fatiguer, par engluer tous ses habitants, comme le font des sables mouvants. Et même si l’amour est omniprésent et sincère, il finit par s’effilocher et, à force, ‘on n’en peut plus’. « L’image de la maison s’obscurcit ». Elle n’est plus la vraie maison du malade où, comme lui, sa chambre devient poussiéreuse, là où personne ne s’entend. Mais la présence, le « charme » d’un accompagnant réactive, revivifie les souvenirs, permet de supporter le rejet non-dit mais ressenti : tenir, contenir, accueillir, soutenir… cela rappelle le « holding » décrit par D.W. Winicott à propos de la fonction maternelle : tempérer des excitations par la présence attentive permet de restructurer un moi en décomposition, mais surtout sans infantiliser le malade. En effet, dans cette maison, c’est le lien qui est malade, entre le souffrant et ses proches, les aidants : « ma maison est un cimetière puisqu’on m’y apporte des fleurs ! ».

Mais quelqu’un qui se meurt (il se repose) n’est pas mort (il repose)! Tant qu’il y a de la vie, il y a du présent et donc du possible car être, c’est se projeter vers des possibles, y compris, hélas, vers la mort, « possibilité de l’impossible » (selon la formule d’Heidegger M.) puisqu’ : « Aussitôt qu’un homme vient à la vie, il est déjà assez vieux pour mourir » (Etre et Temps).

Qui nous dit que pour lui tout doit s’arrêter au tombeau ? L’espérance religieuse (A Dieu) pour celui qui croit ; si l’espérance religieuse manque, faut-il n’avoir aucune espérance (un Horizon) ?

Et parce que la présence du bénévole aura facilité le réexamen et la restauration du lien entre les membres de la famille, alors « les choses, les objets qui restent dans la maison seront désormais regardés différemment, et même après le départ».

3 – « La sédation à domicile : ses enjeux »

Dr Daniel Nicolas, responsable de l’USP de l’hôpital Eugénie, Ajaccio.

L’hospitalisation à domicile ne doit pas être une sous-médecine car la haute technicité impose que l’équipe soit très bien formée. Elle est très bien décrite, dans ses protocoles complexes comme dans son approche humaniste. Mais son application lui pose autant de difficultés qu’il y a de diversités dans les situations rencontrées.

La possibilité d’une sédation est parfois refusée, mais elle est aussi justifiée par l’argument mis en avant : faire disparaître la souffrance, ce n’est pas faire disparaître la personne. Par ailleurs, il faut bien distinguer la sédation – qui endort et supprime la conscience –de la suppression de la souffrance. Il faut donc faire intervenir deux molécules différentes. Mais quelle certitude peut-on avoir que la souffrance est réellement anéantie ? C’est pourquoi il ne faut pas renoncer à parler à un sédaté car il a peut-être conservé une « sensibilité » auditive…

Surtout, il est important de noter que la possibilité de sédation entraîne une réduction sensible des demandes d’euthanasie.

4 – « Au-delà des limites du soin à domicile, quelle place pour la spiritualité ? »

Dominique Jacquemin, professeur d’éthique et sciences sociales aux Universités Catholiques de Lille et de Louvain.

Le concept de spiritualité est un « mot-savonnette » qui porte tellement d’interprétations qu’il ne peut conduire qu’à des conflits… Faut-il l’éviter ? Non, car il revient à la mode sous l’expression de « spiritualité laïque » (adjectif nécessaire ?) et qu’il concerne le bénévolat.

Oubliant les tâches quotidiennes, « j»’entre dans le champ de la spiritualité quand, me concentrant sur ma personne, « je me sens observateur de ce qui m’entoure, de choses présentes – cet arbre, ce paysage, moi-même  ». Je m’appuie donc sur les informations de mes organes des sens (le corps). « Je me sens exister dans un monde qui aurait pu ne jamais exister, je vis donc une expérience étonnante qui m’interpelle : qu’est-ce que je « fais » là ? comment suis-je venu là ? que vais-je devenir ? et pourquoi suis-je là ? est-ce en réponse à un projet ? ou sans raison explicable ? absurde ? ». C’est une expérience intérieure, intime, qui peut émerveiller (parce que prodigieuse) ou peiner (épreuves de la vie, conscience de sa finitude…). Ma volonté de survivre m’apporte, selon les situations, l’envie de dominer, de rejeter l’autre, la crainte, la colère, mais aussi une satisfaction par la reconnaissance de ma personne et celle de l’autre, ce que réduit la solitude… tout état relevant du psychisme.

Mon éducation, ma « nature », m’ont alimenté en principes moraux auxquels « j »’attribue une valeur et qui peuvent concerner aussi bien le bien (des  vertus, par exemple) que le mal. L’éthique consisterait d’une certaine manière à mettre ces choix de valeurs en acte, ce qui influencerait et définirait le comportement de chacun : « j’ai de l’intérêt pour l’autre ! ai-je été bon, compréhensif, attentif… ? ai-je fait ce que j’aurais dû faire ? Je crains de déranger mes proches… ». Mais la spiritualité ne se réduit pas au seul vécu émotionnel des malades.

Tous ces aspects nombreux et complexes appartiennent à la spiritualité qui paraît donc difficile à cerner à celui qui cherche un sens à sa vie. La religion apporte certes des réponses à celui qui y adhère mais le doute est aussi universellement partagé. Le religieux (démarche collective) entre dans la spiritualité qui peut en être dépourvue (démarche individuelle).

Ces quatre pôles (corps, psychisme, éthique et enfin sacré et/ou religion-transcendance) alimentent en chacun de nous, en lien avec autrui, un « mouvement intime d’existence » qui caractérise la personne qui le porte en son esprit. Ce mouvement, qu’on s’efforce de maintenir en équilibre « pour bien se sentir  soi», peut être ébranlé par la maladie ou une perturbation de l’un des pôles. Il n’y a rien à faire auprès du malade sinon l’écouter (juste présence) pour lui redonner la capacité à se penser, à penser son « système intérieur spirituel », pour que, souffrant, il restaure sa capacité relationnelle avec autrui et/ou avec lui-même. C’est alors que le bénévole devient un « passeur » ou un « témoin ».

Le domicile est un espace « interhumain », lieu idéalisé compris comme protecteur. Il est propice au développement spirituel, à la reconstruction. Et les tensions du malade peuvent y être adoucies, en lui permettant d’assumer la proximité et la technologie importée par la médecine. Mais on peut aussi s’y épuiser en épuisant les proches, d’autant que les aidants peuvent se considérer destitués par le bénévole.

« Le bénévole doit accepter d’être transporté dans le lieu où l’autre veut se mettre et le mettre. Il doit accepter de se laisser déplacer dans ses certitudes : c’est un véritable défi humain, éthique et technique… ».


Notes rapportées par Alain Monchamp

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