Nouveau témoignage de Michèle

Une très vieille dame de 97 ans repose dans le lit aux barreaux relevés : Quelques mèches de cheveux très blancs et très fins, un teint ivoirin parsemé de surprenantes taches rouges, une main décharnée à la peau soyeuse et transparente où affleurent les veines bleutées, et le relief du corps si peu marqué sous les draps que l’image s’impose à moi : « Une plume ! On souffle et elle s’envole… »
Je me présente. J’ai parlé très doucement … Que mon souffle n’aille rien déranger ! Aussi je suis très surprise par le ton énergique : « Je le crois, que vous êtes bénévole ! Vous avez un tel sourire ! » Comment a-t-elle vu que je souriais ? Elle a les yeux fermés !
Elle a fait un effort pour parler ; aussi j’ajoute : « Je resterai volontiers avec vous si vous le souhaitez. Mais si vous préférez être seule, vous me le dites et je me retire ». Et je lui souris … puisqu’elle me voit … malgré ses paupières toujours baissées ! La réponse fuse : « Non, non, non, ne partez pas ! »
Elle semble s’interroger : « Alors vous dites que vous êtes bénévole à l’hôpital ? … Pas possible, pas possible ! » Je ris. J’ai posé ma main près de la sienne : «Est-ce que le contact vous dérange ?» -« Oh mais pas du tout ! Au contraire, C’est bon ! »
Cette femme est délicieuse, je me sens bien auprès d’elle. Je crains cependant que l’échange ne mobilise beaucoup trop son énergie : « Vous n’êtes pas obligée de parler ! Si vous êtes fatiguée, vous ne dites plus rien, et je resterai près de vous en silence… ». Elle se tait quelques secondes : « Oui, ça me fatigue… Mais ça me fait du bien… » Et elle enchaîne illico, dans un visible effort de volonté : « Est-ce que vous avez la tête bien sur les épaules pour faire ce que vous faites ? Vous n’êtes pas un peu folle ? » Je ris de bon cœur. « Vous êtes volontairement bénévole ? Et ça ne vous rapporte rien ? Alors qu’on s’entend dire à tout bout de champ qu’on est vieux, laid et méchant !»
Je suis profondément touchée. Elle aussi sans doute. Cette dame a un humour redoutable… Une infirmière m’avait laissé entendre qu’elle était parfois confuse… La vie a de ces surprises….
La vieille dame me semble épuisée, et je sens qu’elle ne cessera pas de parler tant que je serai là … au-delà de ses forces, probablement. Alors je m’oblige à lui dire, le plus légèrement possible, que je vais m’en aller, qu’elle se repose, je reviendrai… Elle a dit un merci presque inaudible, s’est abandonnée sur l’oreiller, et j’ai vu, au tout petit mouvement de ses paupières, qu’elle avait cette fois vraiment fermé les yeux.
Mon cœur s’est serré en la quittant. Je débordais de gratitude.

Michèle, après ce jeudi 21 janvier 2016

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